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LA POESIE D'ANTOINE CARROT

Quatre mains du vent

Jacques André éditeur, 2007
Préface Alain Wexler
Illustration Jean-Christophe Schmitt

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NOTES DE LECTURE

Ce livre est une méditation sur l'immobile et le mobile. On voudrait l'ineffable à portée de la main, qu'il cesse de fuir. Dès la première page, aucune illusion, tout fuit, rien n'est fixe. " (...) Des ombres longues dépassent nos horloges / Dans une fuite où tout se consume / Où sous le poids mauve de l'heure / La main reprend ce qui fut donné."
Les mots n'ont rien de sûr, il les appelle des soupçons transformés. Notre instinct est de nous réfugier dans nos maisons, nos abris, nos souvenirs or la méfiance sommeille au pied de notre chaise, ce réflexe du refuge est ce justement qui nous fait passer à côté des bonnes réponses : "(...) Naguère tu trouvas ta récompense / Entre les pages de ton livre / Pourquoi demander davantage" Le passé, c'est ce qui est consigné, qui ne change plus sauf à cause de l'usure, c'est ce qui est enfermé. Si notre quête est la vérité, appelons-la connaissance, il faut même se méfier du chemin, il le dit : il te console. "L'essentiel pourrait t'échapper / Si tu rangeais l'absence au temps des saisons closes". Rien de pire que la paralysie et le repli sur soi, l'image du monde apparemment inerte après tant de convulsions est trompeuse, on sait que cela bouillonne sous certains volcans. II propose, comme réveil, la figure d'une pierre qui prend feu.
Le livre se construit ainsi de propositions en propositions. Nous n'avons pas affaire à un recueil de textes mis bout à bout arbitrairement. Page après page nous découvrons un livre construit où chaque texte essaie de répondre au précédent sinon de continuer l'argumentation déjà commencée.
L'auteur tutoie le lecteur, ce qui n'est pas une figure de style mais un dialogue. Antoine Carrot continue de vivre dans ce livre, la preuve, il te parle et t'entraîne dans sa méditation et t'invite à poursuivre un nuage, le feu dans le vent, des oiseaux, comme cet enrichissement des roses au seul vent des abeilles. Ne serait-ce pas cette vérité toujours en mouvement? Ceci peut s'exprimer encore: "Laisse couler la fontaine ou l'oiseau" Afin d'accompagner la vie, tout comprendre enfin. La vérité enfin trouvée pourrait être ennuyeuse aussi. A moins qu'elle ne soit perpétuellement en mouvement.

La connaissance se réduit sans doute à cette formule: " Le fleuve attend notre réponse / Dans sa féminité sans cesse renouvelée / Où le bouchon du pêcheur n'est en somme / Qu'un simple grain de beauté. " Ce que tu poursuis, est-ce bien la vérité? n'est-ce pas une apparence ou un simple petit détail sans importance, jeté là par caprice ou hasard, prêt à disparaître et qui sera remplacé à la faveur d'un angle différent de ton regard par un autre détail tout aussi insignifiant? La force de ce livre tient dans l'art du questionnement et l'inventaire des chemins alors que les réponses attendues s'échappent aussitôt le long de ces chemins à peine découverts.

Alain Wexler, Verso

Les quatre mains du vent développe les thèmes chers à l'auteur : le questionnement et l'inscription dans le temps. Les deux motifs se répondent pour se cristalliser sur la connaissance que serait la présence à un instant singulier : Un tilleul s'ouvre et donne une proposition / Le mur dépasse un avenir construit / Dans l'élan du verger qu'il possède. Antoine Carrot ne cesse d'explorer le double mouvement de ce que l'on croit saisir et qui déjà s'échappe : Des mots mirages se lisent à l'intérieur des portes / [ ] Conçus dans un effort qui se transforme / Sans imprudence / Au bruit discret des mutations lentes. Son écriture rend compte de ce qui est encore l'étonnement de l'enfance, l'enfance qui tend les mains vers une toute petite échéance où perce / Ainsi que le veut la coutume / la fleur d'une première neige, empêchée par les rigidités anciennes. Tentation dont l'écriture devient la métaphore : Paradoxe un mot refuge / Ecriture de l'ambiguïté / Protection qui dérobe une certaine face / Par un souci d'être autre chose. L'auteur prend acte de la réalité de la calleuse austérité des murs derrière lesquels on a laissé son enfance. Demeure la liberté d'accomplir / La digression des vents de blé...
Anne-lise Blanchard

 

EXTRAITS

Nonchalance à fruits répétitifs
Qu'attends-tu?

Que pèse à la lueur de nos soupçons du soir
Ce qui ne fut jamais compté
Pétales du temps fugueurs des saisons closes
Quand l'après redevient l'avant
Et qu'une évocation fleurit
Sur la fragilité des choses dues

Des ombres longues dépassent nos horloges
Dans une fuite où tout se consume
Où sous le poids mauve de l'heure
La main reprend ce qui fut donné 


Antoine Carrot, Quatre mains du vent, Jacques André éditeur, p.9

 

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Tu es la question mais je ne suis pas ta réponse
La source aussi vit dans le vent

Un chemin tu le rencontres
Il te console en quelque sorte il nous transforme
Par le flux incertain de tes probabilités
Tout dépend de ton œil
Les mots sont des soupçons transformés

La méfiance sommeille au pied de notre chaise
Perspective où l'affolement de nos déductions
Par chance débouche sur l'outil
Tes pas rejoignent l'immensité de l'herbe
Par la volonté d'être en dehors de l'immobile 

Antoine Carrot, Quatre mains du vent, Jacques André éditeur, p.10

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D'une flamme naquit l'apaisement 

Naguère tu trouvas ta récompense
Entre les pages de ton livre
Pourquoi demander davantage

Visage concrétisé 
Dont tu poursuis la ressemblance 
Les villages sont toujours présents
La glycine d'enfance aussi
Et les pas qui ne furent que par leur propre élan

L'essentiel pourrait t'échapper
Si tu rangeais l'absence au temps des saisons closes
Si tu oubliais la clé dans ta poche
Si la serrure devenait un rempart


Antoine Carrot, Quatre mains du vent, Jacques André éditeur, p.11

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