LA POESIE D'ANTOINE CARROT
Chemins de sel
Cahiers bleus, Parvis des alliances 2004
Illustration Dominique Daguet
NOTES DE LECTURE
Au premier abord, l'eau, le vent, l'arbre, le fruit... semblent offrandes naturelles et généreuses de ce monde. Elles aident tout homme à vivre en lui désignant son horizon et les gestes nécessaires. A la fois à l'écart et solidaire, le poète ne cesse de nous confier une certitude qui dérange toutes les évidences : " l'eau n'est pas où nous l'avons cherchée ", " Il n'y a pas d'énigme en dehors de nous / Seulement des fantaisies de nuage et de vent ".
Antoine Carrot tend avec tenacité à élucider ce mystère paradoxal et rêve pour cela d'abolir toute distance, comme le fait l'alouette dont il surprend le vol. Les chemins de sel qu'il emprunte en nous appelant à ses côtés brûlent ses pas, et nos pas aussi. Ils ne disent pas en la fuite, mais le feu exigeant que cet " homme de l'éveil " nous invite, poème après poème, à traverser.
Marie Ange Sebasti, Extraits de la préface
Dans l'espace entre l'avant et l'après se tient Antoine Carrot, veilleur cerné "par la formule où l'instant se protège", dans ces "régions de sel où sommeille un livre / Que tu crois avoir écrit / Avec des mots inconnus / Qui se referment au premier geste". Une veille de résistance au temps qui s'écoule "Plonge un regard dans la source / Si tu veux que le temps reprenne de l'importance". Il est aussi l'éveilleur à l'oeil disponible, qui accueille "au coin du livre" ou sur "l'affiche d'un mur" l'instant unique "dont dépend la volonté de vivre", celui qui se renouvelle au " glissement des sources", à la main qui donne, au " sourire auquel on se laisse prendre ". Des chemins de sel dont chaque pierre ponctue le mot.
Anne Lise Blanchard, Verso
Il faudrait chausser des semelles de pierre pour avancer sur ces "Chemins de sel" où s'invite le temps avec son poids " de fleur et de fruit mur ". Le paysage est jalonné par l'image d'une pierre dressée, associée à la blessure ou à la brûlure. Il entraîne son lecteur beaucoup plus loin pour qu' il " écoute le long silence qui redevient la nuit / par un geste du vent ". La marche obstinée réveille le souvenir " comme si l'ouvrage était l'oubli " tandis que " Nos repentirs nous protègent de la désinvolture ". Le poète ne refait pas le monde mais le remet en sa propre lumière " Un monde blanc / d'où la neige chasserait la nuit ". Le rêve ne l'abuse pas, il sait que " nous ne possédons tout au plus / qu'un reflet de nuage sur une vitre claire / c'est à dire une transparence."
Bernard Meunier, Laudes
Saisir le fil tendu par le poète, tenter de pénétrer son univers ou du moins lever un pan du voile. Des mots dits, d'autres non dits. La fugacité du quotidien est capturée sur le papier. Laisser une trace de ses pensées pour ne pas les laisser s'évanouir. Le fil du poète se veut fragile. Un fil de soie changeant de teinte au fil des saisons, des idées. L'ancien expert comptable joue avec les lettres sans oublier les chiffres. Entre addition et bilan, celui d'une vie : " d'une saison que reste-t-il ? ". L'oubli et la mémoire. La nostalgie et cette envie de vivre l'instant " Pour fuir la tragédie de l'horloge ". Le poète oscille, fait de paradoxes, de contradictions. Mystique, proche de la nature, de ses racines, amoureux de l'automne, saison de transition. Tantôt grave, tantôt jovial. " Il y a si peu de nuages à vivre ", " désormais le soleil est dans l'instant ". Les mots brûlent et stimulent.
Valérie Bruno, Progrès Villefranche
Antoine Carrot puisait dans le bourg de Lapte une source inépuisable d'inspiration. Les mots déroulent le fil nostalgique des saisons " l'hiver passe avec ses pages de neige où le doigt n'écrit plus quelques noms oubliés ". L'incertitude habite les êtres " Des destins contradictoires m'accaparent, j'aspire au vol de l'oiseau, au mouvement parfait de l'horloge, à quelque chose qui serait l'envers du mot ". Poésie d'ombre et de lumière d'un être attentif à la fragilité des hommes, sensible tout à la fois à l'éphémère et au perpétuel de l'existence.
Fabienne Mercier, La Tribune le Progrès, Haute Loire
EXTRAITS
Chemins de sel
Aux moissons dédicacées
Par la faucille ou par l'humeur
Quelle promesse avons nous faite.
Brûlure étroite où le vent se présente
Comme un mendiant du refus
Qui reproduit sa différence
Aux quatre coins d'un cri.
Épure destinée à nous faire comprendre
Ce que nous n'avons pas appris
Chemins de sel où le pied flambe.
Problème déposé sur l'eau
Qui construit des châteaux sans cesse dépassés
Dont la fin se décante aux limites du réel
Dans une apologie de peupliers.
Blessure levée comme une pierre
Montant la garde au fond du clos
Où les vergers prennent la place
Que nous n'avons pas su conquérir.
Antoine Carrot, Chemins de sel, Cahiers bleus, p.9
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L'exigence du feu
Buveur d'eau et mangeur de pierre
Le feu auquel tu ne succombes
Découvre une symphonie
Dans la nécessité d'une autre forme.
Tout fut avant la naissance des eaux
Les inconstances d'une impériale géologie
Et les appels sécrétant nos anxiétés futures.
Des bruits partagés en mille morceaux
Par la complicité d'une brisure
Coule une dépendance où les mots n'ont plus de prise.
Tout s'explique mais n'est-ce pas détruire
La cérémonie du temps perdu
Il y a si peu de nuages à vivre
Et désormais le soleil est dans l'instant.
Antoine Carrot, Chemins de sel, Cahiers bleus, p.11
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Ponctualité de la distance
Demandeurs de gestes nouveaux
Visages de neige où des automnes s’éteignent.
Les virgules non placées aux mains des feuilles rouges
Multiplient l’exigence ou l’écart
L’inconstance devient la tranquillité
La plainte et le vent
Des murailles disparaissent dans leur propre écho.
Tant l’existence avec un reflet se confond
Et l’eau n’est pas où nous l’avons cherchée.
Antoine Carrot, Chemins de sel, Cahiers bleus, p.18.
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L'eau coule une distance impose
Un profil à chant de source.
Par politesse ou par simplification
Salue la main qui te donne
Car le mérite n'est pas à toi.
Joueur de feu dans une mercantile approche
Où se déplace avec des glissements de tristesse
Une face à fleurs mauves
Lève une carte et reprends ta place au jeu
Un autre ne pourrait le faire à ta place.
Pas de mots impies ni de protestations sans suite
La symphonie à petites minutes s'use
Plus vite qu'un foudroiement d'horloge
Qui compte à l'infini les grains du balancier.
Car ta victoire est dans ton oubli.
Antoine Carrot, Chemins de sel, Cahiers bleus, p.23
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D'une saison que reste-t-il
des mots du sang versé des équivalences
le souvenir d'une poursuite
dans les replis du village.
Comme si le pas était un fruit
qui retomberait en poussière
comme si le vent pouvait retenir la feuille
comme si l'ouvrage était l'oubli.
Antoine Carrot, Chemins de sel, Cahiers bleus, p.32