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LA POESIE D'ANTOINE CARROT

Silencieuses

La Bartavelle, 2002
Illustration Paul Siché

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NOTES DE LECTURE

Extrait de la préface,
En accord profond avec le rythme de la nature, veilleur attentif au silence que ponctuent le battement des horloges ou les subits coups de vent qui déconcertent de paisibles villages, Antoine Carrot, s'est en même temps, toujours tenu dans "l'impatience des choses dites". Et cette impatience naît précisément des "heures silencieuses". Heures de "plaine ou de granit"qui semblent lui appartenir souverainement mais aussi lui échapper sans cesse :
"Mes silencieuses au sang de rose et de sable / qui poussent le temps au delà de sa présence / et qui disparaissent dès qu'on les touche ".
Mais pour celui qui est nourri du " pain d'interpellation des heures ", cette disparition est-elle un évanouissement définitif ? les mots ont beau s'échapper, vouloir le fuir, sans qu'il paraisse possible de les rattraper, ne voit-il pas toujours " brûler des images du côté du soir " ?
Si ces images brûlent, n'est-ce pas moins pour disparaître à jamais, réduites en cendre, que pour éclairer définitivement, de leur brasier perpétuel, toutes les heures ?
En réalité, les images incandescentes envahissent tout silence et mettent en lumière le visage méditatif de ce poète qui ne dit " je " que pour mieux s'adresser aux autres hommes. Dans ce recueil dédié à " nos " heures, celles ci ne prennent pas le ton de la constatation acerbe qui serait celle d'un misanthrope, mais bien celui d'une sorte d'avis fraternel où l'espoir trouve une large place :
" les lendemains palpitent sur nos repentirs bleus " ou " on ne retient de l'heure que l'eau claire du puits ".

Marie Ange Sebasti

Nous retrouvons cette clarté intérieure où esprit et nature s'accordent pour célébrer la simple beauté des choses " Tout va se mettre en place à l'orée des nuits longues / j'entre à pas d'automne dans la procédure / qui prélève un tribut sur les déserts de l'âme ".
Jean Chatard, Cri d'os

Introspection de la nature humaine et expression de la grande nature universelle cohabitent. Toujours au service de la poésie " le sang du jour / la virginité de l'inconnu / la poésie ? en somme presque rien ".
Massif central

Les silencieuses se montrent à nous mais se tairont encore. Le secret de leur gestation restera indivis, il ne nous appartient pas. Et cela même si cet homme a écrit et qu'il n'a pas détruit, qu'il a laissé refluer l'héritage comme branche cassée longtemps coincée sous l'eau puis un jour délivrée par le fleuve du temps, enluminée d'amour jusqu'à l'aube patiente de notre écoute.
Marie-Thérèse Peyrin


Une réflexion sur l'expression, sans en avoir l'air. Cela passe comme un souffle dans un arbre, c'est grave et léger. Ce qui ressort de cette lecture, c'est surtout l'obsession de l'attente et le poème apporte la ponctuation nécessaire :"Il n'y a pas d'importance minime / des fruits semblent promis aux jours qui nous rassemblent / la connivence entraîne une rencontre / au soleil équivalent de l'attente. // La page écrite à l'avance est fugitive / comme un train de nuit que nous n'aurions pas pris.// Il faut pouvoir saisir / le retour d'importance où le seuil est inscrit / et des mains montent dans le soleil levant / comme l'offre d'une épaisseur enfin trouvée". Un livre très important.
Alain Wexler, Verso

Retrouver Antoine Carrot ne va pas sans émotion. C'est bien comme il le pense s'obliger à un silence de réflexion, pour mesurer la valeur d'un dialogue. Car on doit bien découvrir que l'on est face à un sage, un sage qui invite à veiller. Le silence qui s'impose permet de se mettre à l'écoute du vent, si présent dans ses textes : "Des vents m'attendent / la porte de la ville reste ouverte". Et ces silences offrent des vérités successives, poussent à recueillir au fond de soi les vestiges précieux de la vie, c'est dire le poids de toute rencontre, ne serait-ce qu'un instant : " Une rencontre peut être une ouverture ". On comprend la nécessité de veiller afin d'éviter toute évanescence ou oubli : "Les marées montantes veillent sur les grèves / pour qu'elles n'oublient pas l'oubli". Et pour finir il sait, dans une de ces formules que rien ne remplace, dire la vérité prodigieuse de l'amour : "Pour vraiment posséder j'accepterai de perdre".
Guy Lavorel, Laudes

" Un soir raconte il suffit de tendre l'oreille ". Cet attentif au mystère n'a pas de certitude, pas même sur la poésie. Il ne nous infligera aucun savoir. Et cela ne nous rend que plus attentif à sa voix. "Des mots / ne te fie pas trop à leur musique / des airs / ne prête pas attention à leur chanson / un mensonge subsiste". Le poète est comme la neige, il " n'a pas de réponse toute prête " pas même à la question de la poésie silencieusement posée tout au long du recueil. Et quand il se risque à une affirmation, c'est pour renvoyer à plus de question.

Gabriel Le Gal

"Et si l'on tend l'oreille / On entend une porte qui doucement se ferme" Pour Antoine Carrot, présent à la vie qui s'épanouit, même discrète, qu'elle soit un "vent de pierre" ou "l'étrangeté de l'homme", les mutations rapides d'aujourd'hui, loin des horloges qui délimitent les jours, sont sources d'incertitudes. Mais pour cet " homme du soleil et de l'air " qui inlassablement "cherche un oeil nouveau d'insoutenable éclat", la nature est régénérante. Conscient de ce décalage avec le présent, il tente par l'écriture de retenir ou plutôt prolonger le temps, un temps intime en accord avec le temps cosmologique : "Un thème nouveau propose une porte de sortie / Aux fruits de notre attente" en demeurant à l'affût des signes. Face à ce constat de l'implacable éphémère, le poète préfère à la résignation fataliste la reconnaissance de la vie : "Salut vent incarné du temps de vivre".
Anne Lise Blanchard, Lieux d'être

Antoine Carrot écrit, avec recul, sa fragilité d'être au monde : "Te protéger / Encore faudrait-il savoir de quoi". Il a l'art de saisir ce qu'il y a de fugitif dans l'existence, dans ces instants fragiles qu'illumine la conscience. 
Lucien Wasselin, Rétroviseur

Ses poèmes montrent que l'essentiel est invisible aux yeux "Jardiniers de l'illusoire / nous sommes en même temps l'austère et le prodigue / la présence et le refus / et le geste qui devient l'outil".
André Defour, Laptois déchainé

EXTRAITS

Dualité du fleuve
Le temple ouvre un oeil sur le fleuve
Le guette ou le protège
Transforme l'oeuf en soleil
Explose dans la fécondité des choses

Un monde s'éveille
Des confessions négatives bruissent dans l'ombre
Un envers confirme le profil des médailles
La mort paisible mange le pain du temps.
Fleuve des royautés multiples
Dualité nouvelle eau vivante
Trait liquide renouvellant le pacte.

Des tribus de grenouilles et de serpents
Naissent les dieux qui nous interrogent 
La moisson s'offre au taureau blanc.

L'enfant monte sur la colline primitive
Devient le chat l'amour Dieu la distance de l'aube
Prend la vie entre ses doigts gantés de lumière.
Jette un soleil nouveau dans l'eau civilisée
Apprivoise le chien des funèbres constances
Reste l'enfant et redevient lui-même.

Antoine Carrot, Les silencieuses p.45.

 

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Questions
Aux questions trop posées il n'y a de réponse
Brûlure éclatée dont les palmeraies vivent
Poème de sable et chant de la pierre
Le vent de nulle part est aussi vent d'ici.

Sphinx non résolu à profil d'énigme
Lumière minérale d'où jaillit
La présence qui veille sur l'éternelle absence

Il faut se taire
Et narguer le mensonge qui renaît du livre
Endiguer la parole
Vivre de soleil et d'eau
Etre autrement
Découvrir la cosmique innocence
Des silences comptés sous le sable des mots.


Antoine Carrot, Les silencieuses p.46. 


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La pudeur est ma défense
Certaines envergures me submergent

Le poing ne frappe que l'apparence des pierres
les croix tracées dans le retardement
des longues insomnies de la nuit
cachent les grincements des volets que l'on ferme.

Une odeur persiste d'où dépend la nostalgie
L'instant est fait d'autres instants soigneusement préservés
Où l'abeille a son miel pour principale offense.

Ce n'est pas prouvé
Mais des feux brûlent sur la colline imaginaire
Il faut le savoir puis secouer la cendre
Devenir la pointe aiguë que la blessure protège.



Antoine Carrot, Les silencieuses p.50.

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