LA POESIE DE JEAN-FRANCOIS SCHMITT
Parole calcinée
suivi de Bâtir Vitrail
Cahiers bleus Parvis des alliances 2002
NOTES DE LECTURE
J'ai relu avec une émotion grandissante au fil des mots ces textes qui, publiés, gagnent en distance, force et poésie.
Certains parlent cruellement au frère que je suis quand d'autres effacent le deuil et tracent d'autres sillons dans l'indistinct des âmes fraternelles.
Il n'y a point de voix d'outre tombe. Mais une parole fraîche, même s'étranglant au bord du vide, tendue toujours entre les voluptés de l'être et les paradoxes du destin.
Soyez donc remercié de nous avoir, en quelque sorte, réunis.
Jean-Christophe Schmitt
Je retiens d'abord de Parole calcinée ces poèmes, en abrupt où se font écho le sentiment de la merveille et celui de la détresse la plus aigue. Ainsi page 46 ces deux distiques : "Au bord du gouffre s'émerveille un chamois" et "j'ai des caresses plein la tête mais mes mains sont vides".
D'ailleurs cette adhésion fervente à un monde de couleur et d'exubérance, "crépuscule amoureux sur Katmandou et d'autre part ce sentiment d'absence et de perte se répondent tout au long du recueil et s'exacerbent mutuellement sans se rejoindre tant est grande la distance "Tu demeures la trace ma blessure 10000 kms ne pourront te refermer".
En effet c'est un chant qui nous parvient des lointains comme d'au-delà des océans et nous sommes à la fois dans le vaste et l'aigu.
Les pages de Batir vitrail constituent un très beau chant d'amour comme "ciel qu'innocente un feuillage Dans l'absence comme dans le désespoir, je ne serai jamais blasé de toi".
Et l'expérience d'un tel amour permet de forger "les armes de la transparence" et de "bâtir vitrail": "Et de toi seule ravi mon Eve verte Vertueuse vacante vigilante Vermeille MON AMOUR de VITRAIL"
On ne peut que deviner l'intensité de drame qu'il a fallu pour mener à une telle transmutation.
Ajoutons seulement que tout ce parcours se fait dans une langue de simplicité et de souplesse qui n'empêche nullement qu'on soit par moments comme dans la proximité des "Illuminations" et à d'autres moments le dire d'amour se fait avec une verve et une inventivité langagière qui n'est pas sans évoquer celle d'un autre "grand combat", celui de Michaux.
Gabriel Le Gal
Un chant d'amour qui se déploie dans le brouhaha, au-delà des blessures, des distances, puis de l'absence définitive. Jean-François Schmitt développe une thématique de la dispersion : "je suis fleuve rompu qui baigne tout rivage" ou "tu sais que je demeure par tout l'épars de moi même en ce lieu, je te suis".
L'écriture, dépouillée, est directe. On découvre une sensibilité sans hermétisme qui atteint le lyrisme absolu : "Dire que tu me manques serait trop peu. Tu es ma solitude. Je ferais de ton corps la mesure de mes mains". On s'attarde sur chaque page. "Mon oblique flamme mon incertaine si proche cependant je t'aime parce que tu es l'oasis et que tu crées le désert". "Je coule en toi comme une eau noire, terre sèche et fragile, trop aisément blessée".
La langue s'enracine dans ce qui circule, sépare, rimbauldienne parfois, pour dire : "J'avais le ciel à portée du regard mais nul oiseau n'y dessinait désormais sa caresse." L'apaisement naît dans le silence et la recomposition en vitrail de l'icône de chair. Jean-François Schmitt, qui disparut en 1984, fut certainement le temps de ce recueil le poète de l'amour fou.
Anne-Lise Blanchard, intervention à voix haute
... Jean-François Schmitt sème les petits cailloux de son désespoir, on pourrait dire beaux comme le désespoir. Ils ont la perfection du caillou et surtout sa simplicité, pas un mot de trop. Ils font silence dans la forêt de la vie. Et cela à coup de contradictions : "je t'aime parce que tu es ma plaie" "Mon algue blanche mon étrangère ma fleur de nuit sur ta lèvre j'apaise ta crainte." "Tendresse dérobée à l'aube de ta bouche. Je suis plein de ton absence"."Je suis libre comme l'eau de ce lac, libre de refléter l'humeur changeante du ciel mais non pas encore de lui donner sa lumière. Si donc vous me voulez vraiment libre, apprenez-moi la source ou rendez-moi la mer." A lire absolument.
Alain Wexler, Verso
Un amour ardent traverse les poèmes de ce recueil, tantôt chuchoté, tantôt crié, tantôt chanté, presque psalmodié : jeux de désir, de la caresse, de l'absence."Etoile perdue cherche nuit à transfigurer". La nuit est là, à toutes les pages. Mais l'amour qui s'y déploie parvient-il à la transfigurer? Elle est, plutôt, le fond noir où se détache le corps pâle de l'aimée, elle est aussi la douceur du secret. Jeux de couleur : noir de l'amour, orange du désir...
Le temps est celui du regard, de l'instant, du geste accompli ou rêvé, de la parole qui cherche d'autres voies que les mots. Peu de passé dans ces textes, pas ou presque de futur, ou alors, rarement, pour annoncer la solitude ou l'échec, comme dans le premier poème : "Un jour je connaîtrai la ferveur du don mais il sera trop tard. De loin en loin pourtant, surtout dans Bâtir vitrail, le second ensemble du recueil, un "enfin" semble chasser la souffrance : "Tu aimantes ma vie Comme une liturgie : en toi Enfin réuni, retrouvé, unifié. Je peux De nouveau te crier que je t'aime." Cette voix qui s'est éteinte n'a pas donné de futur à une poésie prometteuse. Elle retrouve un aujourd'hui en nous, grâce à la fidélité des proches qui l'éditent.
Bernard Meunier, Laudes
Extraits
"Qu'un pari défigure
La face de l'icône...
Dans la branche du fleuve
Chante l'oiseau de mes rêves.
Dans l'épaule du vent
Forger les armes de la transparence
Bâtir vitrail"
Bâtir vitrail, p.54.
*
"L'étoile
a retrouvé la mer.
Patience...
L'horloge te dira la finitude
et la beauté."
Parole calcinée, p.15.
**
"Comme une ombre immense
le soleil s'est éteint.
Un voile tristement éclairé
s'étend sur la plaine.
Lumière indirecte
matrice de gris mensonges.
Caresse froide
son rayon fait mon profil plus pâle
s'inscrit vaguement
sur l'ombre de nos mains vides."
Parole calcinée, p.29.
***
"Fais-toi crépuscule et je t'invite à venir habiter ma nuit"
"Nous n'avons jamais habité la même maison.
Veux-tu que nous fassions chambre à part, désormais,
quand chaque soir, je dors à ton côté
dans la boue des étoiles."
"La mort n'est pas une veuve cruelle
mais une mariée transparente."
Parole calcinée, p.37.
***
"Mes haillons d'apparat
ma vie dispersée
mes fortunes en allées
comme j'aime en vous
tout cet inachevé !"
"La nuit me piège, j'avais envie de mordre
et sa tendresse m'emprisonne."
"Etre prince de la nuit pour qui mendie le jour"
Parole calcinée, p.41.
***
"A genoux,
l'orgueuil s'arc boute à la pierre
la nuit porte en l'ombre la semence du soleil,
des grappes de silence explosent en voix multiples
grenades,
brûlots et mandragores font des taches de sang.
Toute respiration se fane.
En l'homme renait la peur et son double visage."
Parole calcinée, p.42.
***
"A chaque geste
secouer la terreur et le doute
du passé ne retiens que la sève
forgeant dans l'arc-en-ciel
les armes de la transparence. "
Parole calcinée, p.43.
***
Parole calcinée
"Qui dira la hâte des prophètes
parmi les peuples condamnés
"souffrir baillons des nourrissons
proies calmes
à l'écho de saisons
nanties de vergues
et de brimborions!"...
L'arc en ciel
Entre l'horizon qui s'enfuit
et la terre qui veut m'entrailler
j'ancre ma nef à portée de visage
nu et barbare, offrant au vent
ma blessure de sel
la vie aveugle
et des siècles de sables...
Parole calcinée, p.44.
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Jean François Schmitt, Parole calcinée suivi de Bâtir Vitrail et précédé de deux lettres autographes de René Char, Librairie bleue, 2002